Fontaine-Raoul
: "les trois quart des oiseaux sont péris"
L'hiver 1709 est resté dans les mémoires de l'ensemble de la population de la
région qui vivait à cette époque là. Un terrible hiver qui commença le 6
janvier et qui dura deux mois. Le prêtre de Fontaine-Raoul de l'époque par
exemple a décrit la situation des oiseaux, de la végétation ou encore de ses
ouailles. "Au moins les trois quart des oiseaux sont péris par la
rigueur du froid, principalement les merles dont il n'est presque pas
resté". Coté arbres, je le cite de nouveau "Tous les noyers, les
châtaigniers, la moitié des autres arbres fruitiers et des chênes sont morts
par la force de la gelée. Les blés et orges ont tellement souffert que dans
cette paroisse, il n'a été cueilli que cinquante boisseaux de blé rouillé
dont j'en ai eu deux et demi pour la dîme".
Le prix du blé a connu des valeurs jusque là inconnue, "25 livres le setier,
mesure de châteaudun" à partir d'avril et jusqu'à septembre ou il est
"monté jusqu'à 40 et 42
livres". Ce froid et ces gelées ont provoqué la
famine dans la région. Le curé Broussin ajoute dans le registre paroissial de
Fontaine-Raoul qu'il supplie Dieu de ne plus être confronté à un tel
déchaînement des éléments, "un châtiment de sa part, nous ayant privé
tout à la fois de blé, de vin, de fruits...".
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Chapelle-Royale : "les blés ont gelé"
Les prix indiqué par le prêtre de la paroisse dans ses registres ne nous
donnent pas vraiment une idée de la chèreté de la période, toutefois, le fait
de l'avoir mis en note indique bien que c'est un fait exceptionnel qui s'est
produit cette année là. "Le blé a valu, le septier, mesure de Brou, 80 livres au mois de
Juillet ; l’orge, au temps des semences : 40 livres le septier ;
le vin : 100 livres
le poinçon ; le cidre : 30
livres".
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La famine et la pauvreté ravagent la région
Ce froid fut constaté dans toute la
France et en particulier dans toute la région Centre. A la
suite de ces gelées quasiment sans précédent la famine règne partout :
"Un ecclésiastique, qui a voulu être témoin oculaire de ce qu’on disait,
écrit de Blois, du 5 mai, qu’il a trouvé, en passant par Étampes et par
Angerville, quatre cents pauvres"... Un autre témoignage ajoute
"Sans parler d’Illiers et des environs de Chartres, où il est déjà mort
plus de trois cents personnes de faim", dan le Vendômois, on écrit de
Montoire, "du mois d’avril, qu’outre les extrémités qu’on souffre là
comme ailleurs, le désespoir a rendu le brigandage si commun que personne ne
s’en croit à couvert ; que depuis peu huit hommes ont massacré une femme pour
avoir un pain qu’elle portait, et qu’un homme, pour défendre le sien, en a
tué un autre qui venait le lui prendre..." Un autre témoin "J'ai
parcouru depuis trois semaines la
Beauce, le Blésois, la Touraine, le Chartrain et le Vendômois. Dans la
plupart des villes et villages, on y meurt à tas, on les enterre trois à
trois, quatre à quatre, et on les trouve morts ou mourants dans les jardins
et sur les chemins. Entrant aujourd’hui à Vendôme, j’ai été assiégé par cinq
ou six cents pauvres, qui ont les visages cousus et livides, les viandes
horribles dont il se nourrissent produisant sur leurs visages un limon qui
les défigure étrangement. Dans les faubourgs de cette ville, on voit des gens
couchés par terre qui expirent sur le pavé, n’ayant pas même de la paille
pour mettre sous leur tête, ni un morceau de pain". "Le Perche est
en pareille misère, car, dans la seule ville de Mortagne et dans la banlieue,
on y compte plus de quinze mille pauvres, dont grand nombre meurt tous les
jours, et le curé de Saint-Victor, entre autres, va ramasser leurs corps le long
des haies". Voici, sur le même sujet, un autre document d'époque :
"Le 5 janvier 1709, à cinq heures du soir, il tomba de l’eau; le
lendemain, jour des Rois, au matin, il y avait un pied de neige ; enfin un
froid si furieux et rude que l’on n’en a jamais senti un pareil, qui a
continué jusqu’au vingt-cinquième jour de la Conversion de saint
Paul ; en sorte que la mer, le Tibre, le Danube, le Rhin, et toutes les
rivières et fleuves à flux et reflux ont été glacés plus de 12 à 15 pieds de haut, et en
les endroits les moins creux tout le poisson était gelé".
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Une dure épreuve
Cette année-là, en effet, notre région subit, elle aussi, tous les
malheurs occasionnés par ce terrible hiver, sans doute le plus désastreux de
tous ceux connus jusqu’à nos jours.

Cela commença le 6 janvier pour se
terminer à la fin mars, alternant gels et dégels qui firent périr les
céréales et tous les arbres fruitiers ou non. Cet hiver, d’une intensité
extrême, fut bientôt suivi d’une épouvantable famine. Pour survivre,
« le peu de blé encore disponible fut mélangé au chiendent ; on mangea
du pain de fougère mélangé à de l’avoine ou du son ; on dévora diverses
racines bouillies ; on se nourrit de potages faits avec du gui et des orties.
Les fossés, le long des chemins, étaient jonchés de cadavres morts de faim…».
Par recoupement des différents documents locaux consultés, nous pouvons
reconstituer, pour notre Vendômois, cette mémorable période hivernale : la
gelée prit donc subitement dans la nuit du 5 au 6 janvier avec « une
intensité dont on n’avait pas d’autres exemples de mémoire d’homme ». Cette
vague de froid dura trois semaines soit jusqu’au 27 janvier environ. Les
températures les plus basses furent signalées les 13 et 14 de ce mois
causant de nombreux décès comme cette inhumation à Saint-Bienheuré « d’un
enfant de huit ans trouvé mort de la gelée au Poirier-Rondeau proche le
Bois-la-Barbe ».
Puis vint le redoux engendrant un dégel provisoire jusqu’au 9 février (samedi
du Carnaval) date à laquelle reprit le froid «qui sévit avec la même rigueur
jusqu’à la fin du mois», soit encore trois longues semaines. En fait,
cette seconde période ne semble pas aussi rude que la première, du moins à
Paris, si l’on en croit le savant Arago.
Un retour offensif du froid se fit encore sentir du 10 au 15 mars accompagné
cette fois de chutes de neige, apparemment les premières signalées. En effet,
si dès le 6 janvier au matin, le pays chartrain fut recouvert par un manteau
neigeux d’une trentaine de centimètres, aucun texte n’indique ni ne confirme
ce fait pour notre ville. Mais on peut toutefois penser qu’il en fut bien
ainsi.
Enfin, des gelées tardives, fin avril et début mai, ravagèrent
définitivement les vignes.
À Vendôme, les températures oscillèrent vraisemblablement entre – 15° et –
20° la plupart du temps si l’on se réfère aux historiens du climat, car aucun
relevé ne semble avoir été effectué dans notre pays ou du moins n’est
mentionné dans les archives. Bien que le thermomètre à alcool de Mariani
(1654) existât déjà, mais peu fiable et surtout peu usité, il faudra attendre
celui de Réaumur, en 1740, pour obtenir des résultats plus probants.
Un précieux
témoignage
C’est celui du curé Maignan de la paroisse Saint-Bienheuré : « Dans cette
année 1709 est arrivé un hiver terrible qui a gelé tous les blés de ce pays.
Tous les grands noyers et une grande quantité d’arbres fruitiers, poiriers,
pommiers, amandiers, abricotiers, pêchers sont morts, de telle sorte que les
vignes ont été aussi gelées jusque dans les racines et regelées au printemps,
ce qui a fait une cherté universelle des blés, du vin et des fruits… Quantité
de puits furent gelés même… Par arrêt des Messieurs du Parlement des aumônes
générales furent faites pour soulager les indigents…Au dégel est mort
quantité de personnes et même de personnes qui n’avaient point souffert de
disette, plus à proportion de riches que de pauvres… ».
Les conséquences immédiates et celles qui suivirent furent effectivement des
plus calamiteuses. Toujours selon le curé Maignan, les récoltes de 1708 étant
déjà nettement insuffisantes pour couvrir les besoins de l’année présente
(1709), la misère apparut aussitôt. Tous les cours d’eau étant gelés, les
moulins s’arrêtèrent de tourner et la farine vint à manquer. Le prix des
céréales doubla du 1er février au 14 avril ; le pain de neuf livres
passa de 8 sous à 23 sous, soit trois fois plus ; le 15 juin, il était à 35
sous. D’une façon générale, tous les prix indiqués dans les diverses
chroniques augmentèrent du double au quintuple.
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Une famine sans
précédent
Sur l’ensemble de la France et dans la région
en particulier, la famine sévit principalement de juillet 1709 à juillet 1710
et la mortalité fut effarante. Dans la plupart des villes et villages, on «y
meurt en tas ; on les enterre trois à trois, quatre à quatre ; on
trouve les morts dans les jardins et sur les chemins ; les animaux meurent
dans les étables».
Concernant le pays chartrain et le Vendômois, le Nouvel advis important sur
les misères du temps (imprimé à Paris en 1709/1710), rapporte : « …Sans parler
d’Illiers et des environs de Chartres, où il est déjà mort plus de trois
cents personnes de faim, du Vendômois, on écrit de Montoire, du mois d’avril
(1710) qu’outre les extrémités qu’on souffre là comme ailleurs, le désespoir
a rendu le brigandage si commun que personne ne s’en croit couvert ; que
depuis peu, huit hommes ont massacré une femme pour avoir un pain qu’elle portait
et qu’un homme pour défendre le sien, en a tué un autre qui venait le lui
prendre, et que, sur les grands chemins, il y a des gens masqués qui
volent…».
Autre témoignage, un ecclésiastique d’une paroisse de Paris, écrit à son
tour, le 10 mai 1710 : « …J’ai parcouru depuis trois semaines la Beauce, le Blésois, la Touraine, le Chartrain
et le Vendômois… Entrant aujourd’hui à Vendôme, j’ai été assiégé par cinq à
six cents pauvres qui ont les visages livides… Dans les faubourg de cette
ville, on voit des gens couchés par terre qui expirent ainsi sur le pavé,
n’ayant pas même de la paille pour mettre sous leur tête, ni un morceau de
pain…».

En Bas-Vendômois
À Montoire, le froid commença à se manifester le jour des Rois, tout comme à
Vendôme d’ailleurs, sur les 6 ou 7 heures du matin. Il fut « si brusque qu’il
surprit tout le monde et si intense pendant dix- sept jours que l’on ne
pouvait s’échauffer ni jour ni nuit. Les blés et froments gelèrent de
telle sorte qu’il ne resta rien dans les champs. Les vignes gelèrent jusqu’à
deux ou trois doigts sous terre malgré la neige. Les noyers et les amandiers
(alors très nombreux dans la région) gelèrent jusqu’à la racine, de même tous
les poiriers, les pommiers et les guigniers…La rivière (le Loir) gela sur
près de quatre pieds d’épaisseur… » Ce dernier chiffre est manifestement
exagéré car cela correspondrait à plus de 1,20 m de glace ; à
l’inverse, faut-il comprendre quatre pouces auquel cas nous n’aurions plus
que 10 centimètres
de glace ; plus raisonnablement, par – 20°, l’épaisseur moyenne peut
tourner autour de 30
centimètres.
Du côté de Tréhet, le constat est le même… « Mais jamais il n’y eut tant
d’impôts ni jamais tant de vols ».
Quant aux Hayes, selon le curé, « le gel des noyers, des châtaigniers et des
arbres fruitiers causa une perte encore plus importante que ne le fût la
disette des grains ».
À cette catastrophe naturelle devait
s’ajouter la guerre de succession d’Espagne (1701-1714) qui entraîna un
surcroît d’impôts et de taxes. Le 11 septembre 1709, la bataille de Malpaquet
contre les coalisés (Anglais-Autrichiens), à elle seule, provoquait dix mille
morts supplémentaires. Les populations ne pouvant plus faire face, de
nombreuses révoltes éclatèrent un peu partout en France.
Jean-Claude
Pasquier
Sources : Bulletins de la Société archéologique du
Vendômois (années 1874 – 1883 – 1898) ; Bulletin n° 13 du Bas-Vendômois ; archives
personnelles (locales et départementales). Photographies : hiver 1987 à
Vendôme (collection G. Soyer).
Article
paru dans Le Petit Vendômois de Janvier 2009

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Lors de l’hiver 1878-1879, d’importantes chutes de neige sont tombées
sur l’Eure et Loir et sur le Loiret.
Lorsque la neige a fondu, le pays des plaines s’est retrouvé envahi par
les eaux. Ainsi, dans le canton de Voves, de vastes étangs ont fait leur
apparition, recouvrant les terres cultivables.
En janvier 1980, le phénomène s’était
accru. De Theuville à Voves et au-delà, une immense nappe d’eau s’était
formé, s’écoulant vers le Loir pour s’y déverser à Alluyes. Un mois plus
tard, l’eau est tellement montée qu’une ferme située non loin de Voves, en a
été inondée sous plus d’un mètre d’eau. Un pan de murbattu par les flots
s’est écroulé.
A Châteaudun, de tous côtés et dans les campagnes
environnantes, on n’a plus compté les éboulements et excavations. Dans la
ville, une partie des fortifications reliant la porte d’Abas au château
s’effondra le 8 février 1879. Sur une vingtaine de mètres, 450 m3 de pierres ont
chuté dans les jardins situés en contrebas. Dont un bloc de 15 m3 !
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